Covid-19 : Que sait-on des effets du coronavirus SARS-CoV-2 sur le cerveau ?

shutterstock_1628718775.jpg

Depuis l’émergence des premiers cas en Chine en décembre 2019, le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la maladie Covid-19, s’est propagé à travers le monde. Au 21 janvier 2020, il avait touché plus de 96 millions de personnes, engendrant plus de 2 millions de décès, dont près de 72 000 en France.

L’infection se traduit le plus souvent par une atteinte respiratoire, allant d’un syndrome pseudogrippal à des tableaux de pneumonie sévère. De nombreux symptômes neurologiques ont également été recensés chez les patients atteints de Covid-19. Cependant, tous ne résultent pas d’atteintes du système nerveux.

Que savons-nous à ce jour de ces troubles neurologiques, et que reste-t-il encore à découvrir ?

Réveils pathologiques, confusions et accidents vasculaires cérébraux

Tous les symptômes neurologiques ne témoignent pas d’une atteinte du système nerveux par le virus. Ainsi, les maux de tête (céphalées), les sensations de vertige et les douleurs musculaires (myalgies) décrites dans les premières études font partie intégrante du syndrome pseudogrippal associé à l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2. Ces symptômes, qui existent aussi au cours des viroses respiratoires saisonnières, n’orientent donc pas, en général, vers un diagnostic d’atteinte spécifique du système nerveux. En outre, ils s’amendent le plus souvent spontanément en quelques jours.

L’anosmie, autrement dit la perte d’odorat, très évocatrice de Covid-19 et extrêmement fréquente puisqu’elle concerne 30 à 80 % des patients, serait quant à elle plus fréquemment en lien avec une atteinte rhino-pharyngée. Elle résulterait dans la majorité des cas d’une infection des cellules de soutien de la muqueuse nasale (épithélium olfactif), laquelle peut aussi être associée à une obstruction des fentes olfactives secondaire à l’inflammation des tissus.

Si la majorité des patients récupèrent de l’anosmie en une quinzaine de jours, d’autres gardent des troubles de l’odorat de manière plus prolongée, probablement en lien avec une atteinte des structures nerveuses (cellules neurales de l’épithélium olfactif et/ou bulbe olfactif). La rééducation olfactive est alors recommandée pour favoriser le processus de récupération neurologique, qui peut prendre plusieurs mois et s’accompagner d’hallucinations olfactives ou fantosmies.

D’autres symptômes neurologiques plus sévères ont été constatés dès les premières semaines de la pandémie parmi les patients hospitalisés pour Covid-19 : cas de confusions non expliquées, de réveils pathologiques après une prise en charge en réanimation, ou encore d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) sévères. À ces cas s’est ajoutée la publication de descriptions, dans des revues scientifiques, de cas sporadiques d’encéphalites hétérogènes ou de syndromes de Guillain-Barré.

C’est dans ce contexte qu’a été mis en place en mars 2020 le registre français des manifestations neurologiques associées au Covid-19, qui a impliqué 46 centres en France métropolitaine et en Guadeloupe (services de neurologie, maladies infectieuses, médecine interne et réanimation). Ce registre a inclus 222 patients entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Il s’agissait principalement de malades hospitalisés soit en raison de la gravité de l’atteinte respiratoire, soit en raison d’une atteinte neurologique pouvant parfois être la première manifestation d’une forme de Covid-19 peu symptomatique au plan pulmonaire.

Les atteintes neurologiques qui nous ont été rapportées sont variées, mais appartiennent à quatre grands tableaux cliniques : au premier plan, des AVC et des encéphalopathies, ainsi que des encéphalites et des syndromes de Guillain-Barré.

Accidents vasculaires cérébraux (AVC)

Les AVC représentent plus du quart des manifestations neurologiques associées au Covid-19. Il s’agit le plus souvent d’AVC ischémiques, autrement dit d’AVC ayant pour conséquence la mort du tissu cérébral, en raison d’un défaut d’apport de sang suite à l’obstruction ou la rupture d’un vaisseau sanguin. Souvent étendus, ces AVC touchent des patients ayant des facteurs de risque vasculaire tels qu’une hypertension artérielle ou un diabète. Malgré la présence de ces facteurs, la cause exacte de ces AVC restait non identifiée dans deux tiers des cas après bilan complet.

L’infection par SARS-CoV-2 pourrait donc être un facteur favorisant la survenue d’AVC ischémiques. Il existe au cours de cette infection un état de coagulation sanguine excessive (hypercoagulabilité), résultat de l’état hyperinflammatoire et de l’infection de la paroi des vaisseaux par le virus. Celle-ci pourrait mener à la formation de caillots sanguins.

L’association d’un AVC ischémique et d’une infection par le SARS-CoV-2 n’est pas anodine, puisque la mortalité hospitalière était particulièrement élevée dans ce sous-groupe, de l’ordre de 16 %. Une étude internationale dédiée a en outre confirmé que les patients ayant un AVC ischémique et une infection par le coronavirus SARS-CoV-2 ont un risque de handicap et de décès plus élevé par rapport aux patients ayant un AVC hors contexte de Covid-19.

Dysfonctionnements cérébraux

Les encéphalopathies (des atteintes de l’encéphale, c’est-à-dire l’ensemble composé du cerveau et du cervelet) représentent un tiers des atteintes neurologiques associées au Covid-19, et sont le plus souvent liées aux formes sévères de la maladie. Elles surviennent la plupart du temps après quelques jours d’évolution de la maladie, mais peuvent également être un des premiers symptômes. Elles peuvent aussi se manifester sous forme d’un réveil anormal lors de la levée des sédations en réanimation.

Les encéphalopathies sont caractérisées par un dysfonctionnement cérébral global, et se manifestent par une altération de l’état mental (confusion, troubles du comportement, diminution de la vigilance, voire coma) dont le bilan ne montre pas de signes en faveur d’une encéphalite (inflammation du cerveau).

Le diagnostic d’encéphalopathie associée au Covid-19 impose d’éliminer les autres causes d’encéphalopathie, notamment les désordres métaboliques ou toxiques, aux premiers rangs desquels l’insuffisance rénale aiguë, fréquente chez les patients ayant un Covid-19 sévère. L’imagerie cérébrale est le plus souvent normale. Elle cependant peut aussi montrer des microlésions ischémiques, mais qui n’expliquent pas à elles seules le tableau clinique.

Le mécanisme de ces encéphalopathies est encore mal compris et repose probablement sur divers facteurs en lien avec la réponse inflammatoire généralisée résultant de l’infection (sepsis), le manque d’oxygène résultant de la maladie (hypoxie) et la dysfonction des cellules endothéliales, situées sur la face interne des vaisseaux sanguins. Plusieurs études basées sur des autopsies de personnes décédées de la maladie ont mis en évidence la présence de lésions ischémiques et hémorragiques de petite taille dans la substance blanche cérébrale, résultant d’un mécanisme qui n’est pas établi à ce jour.

Atteinte inflammatoire

Les encéphalites représentent 10 % des atteintes neurologiques associées au Covid-19. Elles sont définies par une atteinte cérébrale de type inflammatoire, suspectée par une IRM cérébrale évocatrice et/ou par la présence d’une méningite mise en évidence par ponction lombaire.

Si leurs symptômes sont proches de ceux des encéphalopathies, les encéphalites diffèrent de ces dernières notamment par le fait que leur survenue se traduit plus volontiers par des signes neurologiques focaux (altération des fonctions neurologiques aboutissant à des problèmes affectant certaines régions du corps : une faiblesse ou paralysie d’un bras, d’une jambe…) et des crises d’épilepsie. Il n’y a pas de lien avec la sévérité du Covid-19, contrairement aux encéphalopathies, et l’évolution à court terme des encéphalites est le plus souvent favorable.

D’une manière générale, les encéphalites en contexte infectieux peuvent être liées à deux mécanismes distincts : une agression virale directe du tissu cérébral, qui se retrouve infecté par le pathogène, ou une atteinte liée à une réponse immunitaire inappropriée déclenchée par l’infection.

Dans le cas des encéphalites associées à la Covid-19, les tableaux cliniques et radiologiques sont variés, et évocateurs le plus souvent d’un mécanisme para- ou post-infectieux. L’ARN viral n’est retrouvé qu’exceptionnellement dans le liquide cérébrospinal qui baigne le cerveau et la moelle épinière. Autrement dit, les arguments cliniques ne plaident pas en faveur d’une atteinte directe du tissu cérébral par le coronavirus. Certaines études anatomopathologiques ont néanmoins révélé la présence d’ARN ou de protéines virales dans le tissu cérébral chez certains patients, sans toutefois de destruction tissulaire ni de réaction immunitaire associée.

Ces données confirment que le SARS-CoV-2 a des propriétés neurotropes (il est susceptible d’infecter sur les cellules nerveuses), toutefois les conséquences de sa présence « silencieuse » dans le cerveau de certains patients ne sont pas connues à l’heure actuelle.

Syndromes de Guillain-Barré

Les syndromes de Guillain-Barré sont caractérisés par une atteinte des nerfs périphériques, suite à une réponse inappropriée du système immunitaire après une infection. Les symptômes en sont une paralysie ascendante plus ou moins sévère des membres, avec une atteinte possible des nerfs crâniens et des muscles respiratoires. Cette phase de paralysie est suivie d’une phase de récupération. L’ensemble de la symptomatologie dure plusieurs semaines ou mois.

Les syndromes de Guillain-Barré représentent 7 % des atteintes neurologiques associées à la Covid-19, et la médiane de survenue est de 18 jours après les premiers symptômes de l’infection. L’imputabilité du SARS-CoV-2 dans la survenue d’un syndrome de Guillain-Barré est principalement basée sur des critères de temporalité à l’échelle d’un patient. Au moment de la première vague de Covid-19, des études épidémiologiques ont notamment mis en évidence une augmentation significative de l’incidence des syndromes de Guillain-Barré dans les régions du nord de l’Italie.

Le syndrome de Guillain-Barré ne doit pas être confondu avec les neuromyopathies de réanimation, autre cause fréquente de perte de la fonction motrice des quatre membres (tétraparésie) chez les patients Covid-19 sévères ; il s’agit là d’une complication classique des pathologies respiratoires sévères prises en charge en réanimation.

À quoi sont dues ces manifestations neurologiques ?

D’autres manifestations neurologiques, plus rares, ont également été rapportées. Il peut s’agir de méningites aiguës virales bénignes, d’inflammation de la moelle épinière (myélites), de crises d’épilepsie, d’atteintes de nerfs crâniens le plus souvent transitoires et réalisant des tableaux de paralysie faciale ou de vision dédoublée (diplopie). Du fait de leur rareté, le lien entre ces symptômes et l’infection par SARS-CoV-2 est plus difficile à établir.

La grande hétérogénéité des atteintes cliniques suggère qu’il y a différents mécanismes d’atteinte, notamment au niveau du cerveau. Les modifications induites par le SARS-CoV-2 au niveau de l’organisme ont un important retentissement sur le fonctionnement cérébral, en raison notamment de l’hypoxie et de la réponse inflammatoire généralisée qu’elle provoque dans le cas des formes sévères.
L’atteinte des vaisseaux sanguins cérébraux, qui résulte probablement des atteintes des cellules endothéliales, est aussi pointée du doigt, tout comme l’atteinte inflammatoire du tissu cérébral, lui-même secondaire à une réponse immunitaire inappropriée.

S’il n’y a pas à l’heure actuelle d’argument fort en faveur d’une atteinte directe des cellules nerveuses par le SARS-CoV-2 au cours de la phase aiguë de l’infection, différentes études ont montré que le virus était capable d’infecter des cellules du système nerveux. Ces données alimentent diverses hypothèses de potentielles conséquences neurologiques à plus long terme. Cependant, aucune confirmation clinique n’est venue les étayer à ce jour.

La surveillance reste accrue, notamment en ce qui concerne les symptômes chroniques décrits chez certains patients et regroupés sous le terme de « Covid long », particulièrement complexes à analyser. Dans ce contexte, les maux de tête, difficultés de concentration, troubles de la mémoire, ou troubles sensitifs subjectifs peuvent en effet s’expliquer de bien des manières : syndrome de fatigue post-viral, syndrome post-soins intensifs (ensemble de troubles physiques, psychologiques et cognitifs courants chez les patients qui sont passés par les soins intensifs pour un problème grave), séquelles des atteintes neurologiques initiales. Ces symptômes peuvent également être la conséquence d’une anxiété et d’un stress post-traumatique en lien avec cette crise inédite, aussi bien sur le plan sanitaire, économique que social.




À lire aussi :
Covid-19, quand les symptômes persistent : que sait-on des formes longues de la maladie ?


Les atteintes neurologiques en lien avec la Covid-19 sont relativement fréquentes, puisqu’elles touchent environ 8 % des malades hospitalisés. Pour mieux en appréhender les conséquences, une étude de suivi à 6 mois des patients inclus dans le registre français des manifestations neurologiques associées au Covid-19 est actuellement en cours d’analyse.

L’enjeu est d’importance, car il s’agit d’atteintes graves, qui peuvent mettre en jeu le pronostic vital, allonger la durée d’hospitalisation et être à l’origine de séquelles neurologiques au long cours.


Les auteurs remercient le Pr Thomas De Broucker qui a coordonné le registre des manifestations neurologiques associé au Covid-19.

Pierre Tattevin, Infectiologue, PU-PH, Inserm et Élodie Meppiel, Neurologue - Centre Hospitalier de Saint-Denis [Ile-de-France]

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Articles récents >

Résumé des articles du 29 novembre 2024

outlined-grey clock icon

Les nouvelles récentes >